L’euphonium est rangé dans son étui, au cœur de la pièce de vie. Au mur, des photos – le portrait d’ Arthur Roy , puis celui de son épouse, Marie-Thérèse -, et une pendule avec un TGV déboulant derrière les aiguilles. On voit le musicien, l’époux, on devine l’ancien cheminot. Sur les tables, le canapé, dans des sachets : son petit appartement à Dannemarie regorge de trésors cachés. Comme ce drapeau aux couleurs de la France estampillé de la croix de Lorraine. Un vestige précieux de la période d’après-guerre, cousu par sa maman, que l’homme de 95 ans conserve avec soin. « Pendant au moins un mois après la libération, le drapeau a flotté à l’une des fenêtres de notre maison », se souvient le natif de Hecken, qui a grandi à Eteimbes.
« Le 28 novembre, à 13 h ». Très exactement. C’est le jour où le village d’Eteimbes a été libéré. « On était occupé par les Allemands, il y avait les tranchées. Mais comme il pleuvait beaucoup, les tranchées étaient noyées et il y avait des Allemands dans chaque maison. À minuit, ils ont plié bagage, le village était vide. Une heure après, on entendait des explosions, c’étaient les Français qui tiraient des roquettes sur Eteimbes », se souvient Arthur Roy, 15 ans à l’époque. Des images, des bruits précis, des paroles datant d’il y a 80 ans demeurent gravés dans sa mémoire. Peut-être un peu parcheminés par le temps, sans doute un peu revisités au gré de son récit. Peu importe, le Sundgauvien, père de quatre enfants, a vécu dans sa chair l’un des grands mouvements de l’histoire.
À la porte, le 8e tirailleur marocain
« Cela faisait trois-quatre jours que l’on dormait chez des voisins, dans l’écurie, derrière les vaches. On était une quinzaine. On avait au moins dix mètres de foin au-dessus de nous », poursuit-il. Une ou deux fermes ont été touchées par les tirs, mais il n’y a pas eu de morts, selon le nonagénaire. Sa propre maison s’en est sortie avec quelques vitres cassées. « Le cousin de mon père voulait envoyer des éclaireurs pour voir s’il y avait encore des Allemands. »
Et puis, il y a eu cet instant marquant chez « la patronne », la mère Léontine. « Ça faisait ‘’boumboum’’ à sa porte. Je la revois encore courir et ouvrir… Un soldat ! Le 8e tirailleur marocain qui nous a libérés ! », conte Arthur Roy avec vivacité. « Le reste était dehors, dans la cour. Ils étaient sept-huit bonhommes. Je vois toujours la Jeep qui descendait la route… » Enfin la délivrance. Les villageois l’attendaient, conscients de ce qui se tramait grâce aux informations transmises à la radio. Du moins, avant que les postes ne soient réquisitionnés par les Allemands.
Avec les soldats, « comme en famille »
« À midi, on a mangé tous ensemble. Moi, j’ai grimpé sur un char, ils nous ont donné des boîtes avec des biscuits. Toutes les rations – les gâteaux, les corned-beef – tout était américain. J’en ai eu au moins pendant six mois ! » Dans sa cuisine, un sous-officier lui a demandé s’il aimait les chewing-gums. « Je ne savais pas ce que c’était, j’ai goûté ». Ce témoignage aura été pour lui l’occasion d’apprendre que ces fameuses pâtes à mâcher… existent encore en 2024 !
Le soir du 28 novembre, Arthur Roy, ses parents et sa petite sœur Marie-Madeleine ont regagné leur demeure. Ils y vivront quelque temps avec les soldats. « La salle à manger était occupée par les douaniers. Ils étaient comme en famille. L’un d’eux s’appelait Balm Robert, il chantait Le chant des partisans , “Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines…” ». Arthur Roy fredonne joliment. En plus de l’euphonium, il taquine encore trompette, clarinette et accordéon. Un quotidien toujours bercé de mélodies.