C’est un chemin qui semble l’avoir changé. Lorsqu’il raconte son histoire, son choix de partir et les rencontres qu’il a pu faire, Alain Grienenberger ne peut s’empêcher de sourire. « Il est illuminé ! », s’étonne agréablement son fils Jérémie. Parti le 27 février dernier de chez lui à Éteimbes, l’instituteur retraité est arrivé à Santiago le 9 mai, au terme d’un périple de 72 jours et de 1 700 km aussi beau et émouvant que surprenant.
Depuis qu’il est à la retraite, Alain Grienenberger marche régulièrement. Faire le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle n’était en soi pas un gros défi sportif pour ce Sundgauvien qui a « toujours été actif » et qui se sent « en forme ». Ce qui a surpris ses proches, c’était plutôt son caractère… « casanier ». « Quand il nous a parlé de son projet l’année dernière, on est resté dubitatif, se souvient son fils. Il allait passer une frontière, changer de pays. Il n’avait jamais testé son côté aventurier. »
« Prendre les choses au jour le jour »
Le constat de Jérémie fait sourire le marcheur. Alain Grienenberger le reconnaît, il a toujours préféré les séjours à la maison qu’à l’autre bout de l’Europe. Mais cette fois, c’était différent. « En 2020, après le Covid, ça peut paraître bizarre, mais je me suis senti appelé par le chemin ». Se lancer dans ce pèlerinage était devenu, pour ce catholique non pratiquant, une évidence. Il prend le temps de s’entraîner en multipliant les 10 km par jour, de se préparer en prenant conseil auprès de marcheurs dont une ancienne élève et se fixe comme objectif de partir en 2023.
Le jeune retraité veut faire les choses en bonne et due forme. « Je l’imaginais tout de suite en grand, se souvient-il. On m’avait dit que c’était mieux de partir seul, de chez soi ; que c’était ça Saint-Jacques. J’ai eu l’envie de partir d’Eteimbes et pas du Puy-en-Velay ou de Saint-Jean-Pied-de-Port. » Un choix qu’il ne regrette absolument pas, malgré les difficultés des premiers jours : il contracte une tendinite au terme des 25 premiers kilomètres, marche seul pendant trois semaines et « peine à [se] projeter » sur la suite du parcours. « Il fallait que je prenne les choses au jour le jour. »
Rendre un hommage
C’est en cela que le pèlerinage de Saint-Jacques a changé Alain Grienenberger. « Je relativise un peu plus les choses, constate le Sundgauvien. Je me dis que si quelque chose arrive, ce n’est pas pour rien. » La météo, les imprévus, les rencontres… le sexagénaire se laisse porter. C’est à partir du Puy-en-Velay, où se concentrent la majorité des marcheurs, qu’il entre en contact avec d’autres pèlerins. Dont deux en particulier, venus de Haute-Savoie et de Vendée. « On marchait à la même allure, on est resté ensemble de Moissac [dans le Tarn-et-Garonne] jusqu’à la fin avec Jérôme et jusqu’au pied des Pyrénées avec l’autre marcheur. »
En le racontant, l’instituteur retraité revit le moment. Cette joie d’échanger, « sans parler de son statut professionnel ou social », cette ouverture d’esprit, cette confiance qui naît l’amène à se confier à ses compagnons de voyage et à vivre des moments uniques. Lorsqu’il apprend l’hospitalisation de son parrain dont il est très proche, lui qui a perdu ses parents, il se donne pour mission d’arriver sur la place de Saint-Jacques-de-Compostelle le 9 mai, jour de l’anniversaire de son parrain. Son décès, entre-temps, le convainc que c’est la meilleure façon de « lui rendre hommage ».
« Ça m’a donné une confiance en moi que je n’avais pas avant »
« Je suis arrivé sur la place avec Jérôme. J’ai eu d’un coup le besoin d’être seul, de me recueillir. » Alors que beaucoup conseillaient à Alain de prendre son temps pour rentrer, il prend l’avion pour retrouver plus rapidement ses proches. Un retour « à l’anormal » comme il le dit, un peu brutal avec un sentiment de liberté qui s’estompe.
Ce qui n’enlève rien à ce qu’il a vécu et ce qu’il est devenu. « Je me suis rendu compte que je pouvais sortir de ma zone de confort, qu’on doit s’en fiche du regard des autres et puis, moi qui étais assez trouillard, ça m’a donné une confiance en moi que je n’avais pas avant. » Aujourd’hui, le Sundgauvien a un besoin « vital » de bouger. Son prochain périple ? Le chemin de Stevenson , dans les Cévennes, la Grande traversée du Jura, une randonnée dans les Alpes… les projets sont là. Il ne lui reste plus qu’à prendre le temps de les concrétiser.
Une surprise en Espagne
S’il est parti seul d’Eteimbes, Alain Grienenberger s’est toujours senti soutenu et entouré pendant son périple. C’est en partie grâce à son journal de bord numérique qu’il a documenté tous les jours sur l’ application Polarsteps, avec des commentaires et des photos, que ses proches pouvaient consulter. « J’attendais qu’il postait sa photo du jour pour savoir où il était », s’amuse son fils Jérémie qui lui a fait la surprise de le rejoindre fin avril sur le camino francés, en Espagne. « J’étais à Barcelone et je regardais sur l’application où il en était pour prendre le bus et le rejoindre. » Père et fils partageront trois journées de marche, avec Jérôme, le pèlerin rencontré un peu plus tôt sur le chemin. Ils avaleront 30 à 35 km par jour et s’arrêteront notamment à Burgos pour visiter la majestueuse cathédrale. Avant de reprendre chacun sa route.